Il a fait les beaux jours de Monaco, Parme ou Fulham après s'être fait un nom au Racing. A 32 ans, Martin Djetou est rentré à la maison, a ouvert un centre de remise en forme à Illkirch. Et il va rejouer au foot dès cet après-midi avec le Sporting Schiltigheim.
Son histoire est celle d'un gamin de banlieue (Créteil) persuadé d'avoir un destin. Le sien, c'était de réussir dans le foot. « J'ai eu ma période c*n et méchant, sourit-il. Au collège, quand des profs me soutenaient que j'avais les moyens de réussir de belles études, je leur répondais que je m'en foutais. »
A ce moment, deux seules choses comptaient dans la vie de Martin Djetou. « Le foot et le dessin. Et puis, je n'oublie pas les copains de la cité. »
Le chauffeur du bus
se trompe de route,
Djetou trouve sa voie
Sa banlieue, il pourrait en parler des heures. Il regrette que le football n'y soit plus pratiqué comme à son époque. Il regrette certaines odeurs, certains us.
« Les jeunes d'aujourd'hui se tournent vers l'argent facile, vite gagné, avance-t-il. Nous, quand il y avait un déménagement, on donnait un coup de main pour avoir un peu de sous. On aidait les personnes âgées à repeindre leur appartement ou on aidait sur le marché. »
Des copains qu'il retrouvait à tout bout de champ pour des parties de foot interminables sur des terrains improbables. Et puis, il y a les vacances scolaires qui, de 6h à 21h, étaient rythmées par des activités sportives. « Comme on n'avait pas d'argent pour partir, on avait droit à une carte « anti-rouille » nous permettant de pratiquer plein de sports. »
Grâce à cette fameuse carte, il fera du foot bien sûr, mais aussi du tennis, du tennis de table, du judo, de la plongée et aussi de l'haltérophilie, où se forgeront ses cuisses restées fameuses.
« Au bout de une ou deux semaines, je soulevais plus de 100 kg. Le club voulait me faire participer à des compétitions, mais je ne pratiquais que pour améliorer ma détente et ma puissance. »
Une puissance qui parlera d'abord à Strasbourg. Et pourquoi Strasbourg d'abord ?
« En fait, avec les cadets nationaux de Créteil, on devait affronter le Racing. Le chauffeur de notre bus s'est trompé de route. Au lieu de nous rendre à la Canardière, on s'est retrouvé devant le stade de la Meinau, raconte-t-il avec bonne humeur. Là, je me suis promis de venir jouer ici. Je l'ai annoncé à mes coéquipiers. »
Quelques mois plus tard, alors que les Girondins de Bordeaux lui font les yeux doux, il s'envole pour Entzheim. La belle histoire de Martin Djetou avec l'Alsace peut commencer. Il a 16 ans, de bonnes cuisses donc, et un appétit d'ogre. « Je voulais réussir. Et j'aime travailler. »
« Je considère Gilbert Gress
comme un de mes pères spirituels »
A Strasbourg, les débuts sont pourtant difficiles. « Je me retrouvais seul, raconte-t-il. Et puis, Gilbert Gress, qui croyait en mon avenir, était très dur avec moi. Un jour, j'ai voulu tout arrêter. Heureusement, Roland Weller m'a aidé. Si je quittais le Racing, il m'avait promis une place au Sporting, un boulot et un appartement. »
Requinqué, il s'accroche. Et, à 17 ans à peine, participe à son premier match professionnel contre Saint-Étienne en Coupe de France. « Même s'il a été dur avec moi, je considère Gilbert Gress comme un de mes pères spirituels. Avec lui, tout passait par le travail. Et ça m'allait. Il croyait en moi. Il m'appréciait. Je lui dois beaucoup. »
Le choix entre Parme
et le Barça
Martin Djetou s'épanouit, se fait un nom. Rencontre sa femme aussi. Une affaire de coeur(s). Et son coeur justement se déchire quand, au sortir d'un match perdu à Monaco (5-1), Roland Weller lui apprend qu'il est transféré dans la Principauté.
« On a pleuré tous les deux dans le vestiaire, se souvient-il. C'était un moment particulier, très dur. Je pensais à mon club et aux copains que j'abandonnais. Mais le Racing avait besoin d'argent. Et pour moi, finalement, ce transfert était une bonne chose. »
A Monaco, il se bâtira un palmarès (deux titres nationaux) et gagnera un nouveau maillot, le Bleu de l'équipe de France. A effleurer aussi l'aventure de 98 puisqu'il sera l'un des six joueurs (avec Laigle, Lamouchi, Ba, Anelka et Letizi) qu'Aimé Jacquet ne retiendra pas au dernier moment.
« On était en stage à Clairefontaine. Manu Petit était persuadé que je prendrai sa place. Et puis, alors que je jouais au tennis de table avec Laurent Blanc, Aimé Jacquet m'a convoqué dans sa chambre pour m'annoncer la nouvelle. Je ne lui en veux pas. Il avait un choix à faire. Mais ça a été dur. Quand t'es gamin, tu rêves de jouer une Coupe du monde. »
Le soir même, sans un mot - « ils sont difficiles à prononcer dans ce genre de situation » -, il quittait ses copains de chambre (Henry, Trezeguet et Anelka) et prenait le taxi avec Lamouchi. « Je crois que nous n'avons pas échangé une parole pendant le trajet. »
C'est devant son écran de télévision, même pas invité par la fédération, qu'il assistera au sacre de la bande de Didier Deschamps. Le maillot monégasque toujours sur les épaules.
Il ne le quittera que trois ans plus tard. « J'avais le choix entre le Barça et Parme. Et j'ai choisi le club italien pour franchir un nouveau palier. Comme à Monaco, je prenais la place de Lilian Thuram. »
Les dirigeants de Parme
lui inventent une hypertrophie
Deux ans à s'épanouir sous le soleil du Calcio. Avant de retrouver Tigana à Fulham et d'effectuer un retour malheureux à Parme. « Ils ont fait croire que j'avais une hypertrophie cardiaque, que j'étais inapte à la pratique du foot. »
Licencié abusivement en janvier 2005, Martin Djetou ira consulter les spécialistes les plus pointus. « Cette histoire a tout gâché. Mais le médecin du collège arbitral de la fédération italienne à Milan m'a donné raison. » Une première victoire.
Au-delà du préjudice financier subi et toujours pas entièrement réglé, c'est surtout l'homme qui a été touché. Touché par l'injustice.
Il fera alors des piges à Bolton, Nice et Istres, mais aura du mal à durer. « A Nice, Gernot Rohr, qui m'avait fait venir, a été licencié. Et j'attends toujours un coup de téléphone du président d'Istres. »
Cette saison, il aurait pu s'offrir une dernière escapade à Leeds, mais il voulait s'installer. « José Guerra et Stéphane Soppo-Din m'ont convaincu de venir à Schiltigheim. Je vais tenter d'apporter mon expérience et un peu de confiance. Il faudra tous tirer dans le même sens. »
Dans cette région qui l'a vu naître au foot, il tentera désormais de retrouver le plaisir perdu ces dernières années. « Elles m'ont laissé un goût amer en bouche. » Tout en couvant du regard Marvin Gueheo, l'un de ses neveux, venu avec lui au Sporting. « Il est passé par le PSG et je crois en lui. »
Entre son centre de remise en forme à Illkirch, qu'il a ouvert avec sa femme, et le football, son emploi du temps est chargé. « Je suis content de ce que j'ai pu faire dans le foot, mais j'aurais pu aller plus haut. La vie ne se déroule pas comme on le souhaite. »
Malgré tout, un peu plus de quinze ans après son arrivée en Alsace, Martin Djetou a conservé deux choses avec lui : son sourire et sa gentillesse. C'est déjà pas si mal...