Richard Mazerand : « J’ai hâte de pouvoir reparler à mes petits vieux »
Richard Mazerand prend la route tous les matins, il espère vite retrouver une vie normale et parler en alsacien à ses protégés.Tous les jours de la semaine, Richard Mazerand sillonne les routes d’Alsace du Nord pour livrer du matériel médical. L’ancien footballeur professionnel du Racing souffre de moins pouvoir parler à ses petits vieux.
Dans sa première vie, Richard Mazerand avait été repéré par le duo Arsène Wenger-Max Hild. Le futur bâtisseur d’Arsenal était même venu à la maison du père à Seebach, le convaincre du talent de son fiston. Et d’intégrer le centre de formation du Racing.
« On livre surtout notre présence »
Et donc, il avait été un attaquant virevoltant, passant du club strasbourgeois au FC Mulhouse sans oublier Beauvais. Il marquait un peu, il livrait surtout alors des passes décisives.
« Puis je me suis reconverti dans quelque chose où l’humain est essentiel », reprend Richard Mazerand, 54 ans au compteur du temps.
En plus d’être éducateur (il officie à Seltz), il est devenu livreur de matériel médical, comme technico-commercial dans une petite entreprise de Wissembourg. Et ce depuis plus de vingt ans désormais.
« On livre des déambulateurs, des salles de bain aménagées, des lits médicalisés, des gants, des masques, etc. On assure la maintenance, aussi. Mais on livre surtout notre présence. Pour les personnes âgées, on est parfois la seule visite de la journée. »
Il dit qu’il est un complément aux aides-soignantes, aux aides à la personne et aux infirmières. « Pour eux, on est une fenêtre ouverte vers l’extérieur. Et moi, comme je parle alsacien, je suis vite devenu leur confident. »
Il est tellement leur confident qu’ils lui confient leurs ordonnances. « À Salmbach, où j’habite, les personnes âgées me les mettent directement dans la boîte aux lettres, raconte Richard Mazerand. Ces dernières semaines, je livre trois fois plus de médicaments que d’ordinaire. »
Et surtout, malgré les besoins urgents, son temps de travail baisse drastiquement. « Le patron a peur pour notre santé, comme pour celle des patients que l’on visite. Alors, on se partage le travail, deux heures par jour comme on est quatre sur le secteur. Et trois douches quotidiennes, alors que j’en prenais une seule. »
Et puis, il y a ce matériel qui manque puisque produit pour l’essentiel en… Chine. « Le patron en cherche partout où il peut. On nous demande de porter un masque et des gants, et surtout de ne plus avoir de contact avec les gens qu’on livre. C’est terrible pour ceux qui nous attendent comme un parent. Il est dur de trouver les mots pour leur expliquer », soupire Richard Mazerand, de plus en plus touché.
« Franchement, ça me rend triste de me dire que quelqu’un nous attend avec impatience derrière chaque porte. Et qu’on lui interdit de l’ouvrir. C’est pareil pour les Ehpad. Tout se passe sur le pas de la porte. »
Alors, Richard Mazerand rentre fatigué de ses tournées « après avoir désinfecté la voiture », l’esprit ailleurs. « Il y a deux mois, j’étais heureux de partir travailler tous les matins. Là, un truc me manque, c’est le contact avec mes petits vieux. En plus, Sylvie, mon épouse, s’inquiète pour moi. »
Sa voix s’étrangle quand il évoque le décès de son beau-frère, survenu il y a deux ans désormais. « Une mauvaise grippe, comme on dit. En bonne santé le matin, dans le coma le soir. Tant que tu n’as pas vécu ce genre de choses dramatiques, tu te penses à l’abri. »
Et Richard Mazerand avait là commencé à s’inquiéter dès le mois de février, demandant à ses joueurs de Seltz d’oublier certains gestes normaux de la vie sociale.
« La Chine, puis l’Italie. Comment penser que nous allions être épargnés! On m’avait pris pour un gentil fou, j’avais eu malheureusement raison. »
«Restez chez vous»
Depuis, Richard Mazerand rêve de reparler à ses personnes âgées, de réparer le matériel déficient, admire « profondément tout le personnel soignant, comme ces infirmières qui restent dormir avec leurs patients dans les Ehpad».
Et pour résoudre au plus vite cette sale affaire, il répète en boucle les trois mots qui ont bousculé notre printemps. « Restez chez vous. »
Il sera ensuite enfin temps de se retrouver. Et pour Richard Mazerand de sillonner en sifflotant ses routes du nord de l’Alsace, pour aller écouter les mots de ses petits vieux. Avec bienveillance, les yeux brillants de vie.
dna