Thierry Debes, l’exilé volontaireInstallé depuis quinze ans à Ajaccio, où il a fini sa carrière de gardien avant de débuter celle d’entraîneur, Thierry Debes (48 ans) va accueillir le Racing ce samedi (17h) sans faire de sentiment. L’Alsacien de l’ACA vise un premier succès à domicile, et tant pis si c’est contre son club formateur.
Arrivé en 2007 sur l’Île de Beauté, Thierry Debes n’en est plus jamais reparti. Désormais, il se sent chez lui à Ajaccio. « En quinze ans, j’ai tissé beaucoup de liens d’amitié, indique-il. Je rentre une ou deux semaines par an en Alsace pour voir ma famille. Mais ma vie est ici. Même après le foot, je ne repartirai plus… »
Une première vie au RacingSéduit par « la quiétude, le climat, les paysages, le sentiment de sécurité aussi », celui qui a usé ses premiers gants à l’AS Dingsheim/Griesheim s’est fondu dans le décor, mais ne se sent pas non plus entièrement corse.
« Contrairement à mes enfants qui sont de vrais insulaires, puisqu’ils avaient deux et cinq ans quand on est arrivés, précise-t-il. Mon fils en a désormais dix-huit et joue en Régional 1 à Afa, un village à côté d’Ajaccio. Pour eux, l’Alsace, c’est la région de leurs grands-parents et l’endroit où l’on va au marché de Noël ! »
Le papa, lui, a quand même vécu une première vie dans sa région natale. Elle s’annonçait même prometteuse pour ce gardien de grande taille et au talent affirmé que Roland Weller avait couvé en amateurs au Sporting Schiltigheim, puis fait venir au Racing.
Poli par Michel Ettorre, l’espoir alsacien y dispute 50 matches entre 1997 et 2002. Avec l’avènement de la mondialisation du ballon rond et l’irruption des Américains d’IMG McCormack, le “produit local” et le “circuit court” n’ont plus la cote. L’arrivée du mafflu Paraguayen José Luis Chilavert referme ainsi son chapitre alsacien.
À l’âge de 28 ans, Debes change d’air. À Grenoble, Guingamp et enfin Ajaccio, où il sera un des grands artisans de la montée en Ligue 1 de 2011 avant de passer le relais au Mexicain Guillermo Ochoa.
Un an plus tard, il raccroche les crampons et intègre sans transition le staff d’Olivier Pantaloni comme entraîneur des gardiens.
« Et on est toujours là une décennie plus tard », précise celui qui a aussi officié aux côtés d’Alex Dupont, Albert Emon et Christian Bracconi jusqu’au retour de Pantaloni.
Mieux, le binôme a retrouvé l’élite au printemps dernier après avoir échoué de peu à deux reprises.
« De la science-fiction »« Il a fallu s’accrocher, car rien ne nous a été donné, dit-il en faisant référence au dénouement des saisons 2018 et 2020. La première fois, on a eu l’impression d’avoir été jeté en pâture en barrage contre Toulouse (double défaite, dont la première sur terrain neutre et à huis clos après les incidents du tour précédent contre Le Havre, NDLR). La seconde, c’est la pandémie qui a interrompu la saison à la 28e journée alors que l’on était troisième, à un point de Lens et deux de Lorient. On espérait au moins jouer les barrages, mais ils ont été annulés. C’est une blessure qui a encore du mal à cicatriser… »
Si les Ajacciens ont pu développer un sentiment d’injustice, voire de persécution, ils ont fini par forcer les portes de la Ligue 1 au printemps dernier. « Jusqu’au bout, on craignait que le monde s’écroule encore une fois, mais on a tenu bon en réalisant une saison incroyable (2e avec 75 points, derrière Toulouse et devant Auxerre) , savoure Debes. En ville, c’était l’effervescence. Avec nos moyens dérisoires, on ne peut que s’appuyer sur d’autres valeurs, d’autres vertus. »
La solidarité et le courage sont indispensables sur le terrain. En coulisses, on y ajoute aussi une dose de débrouillardise et d’huile de coude. L’ex-gardien raconte ainsi comment il a manié la truelle avec le staff durant le premier confinement pour « construire la salle de muscu’, du sol au plafond ».
Une incongruité dans le monde professionnel qui participe aussi de la force du club insulaire. « Honnêtement, c’est de la science-fiction, développe-t-il. L’autre jour, j’ai compté combien de personnes bossaient dans les bureaux après avoir vu Lille débarquer chez nous avec une “armée” en costume : ils ne sont que six ! Ce foot-là est normalement fait que pour l’argent, pour les grandes villes. Mais on est là, avec notre budget riquiqui (le plus petit de Ligue 1 avec 22 millions d’euros, soit deux fois moins que le Racing). Et on se bat pour y rester. »
Les amitiés mises entre parenthèsesJusque-là, le promu reste dans le coup. Il ne s’est ainsi « jamais fait balader à l’extérieur », à en croire Debes. Et a même remporté deux matches – ce qui fait déjà un de plus que le club strasbourgeois – à Brest (0-1) et, coup de tonnerre sur la Canebière, à Marseille (1-2). « Un résultat extraordinaire, c’était fabuleux dans le contenu », selon l’adjoint.
Si l’ACA est avant-dernier avec un point de moins que le Racing, c’est avant tout parce qu’il n’est pas parvenu à s’imposer dans son antre de François-Coty. « Peut-être que les gars se mettent trop de pression, je ne sais pas, avance celui qui a vu Lille, Lorient, Nice, Clermont et le PSG repartir avec les trois points. Même si les résultats sont décevants, on peut compter sur le soutien populaire. Le stade est petit (9 000 places) , mais on joue presque tout le temps à guichets fermés. On a envie de faire tourner les choses et d’offrir à notre public ce premier succès. »
Or, la dernière occasion qui se présente avant la trêve internationale se situe ce samedi contre le Racing. « Ça ne va pas faire plaisir à ma famille, mais on veut gagner, sourit Debes. Ce sera encore très compliqué contre une équipe qui a un sacré potentiel, malgré le manque de résultats. »
Pour ne se fâcher avec personne en Alsace, l’exilé volontaire va ouvrir « une parenthèse d’une semaine » où les contacts avec sa région natale se feront rares.
« Au club, je connais encore plein de monde, le président Marc Keller, son frère François avec qui j’ai beaucoup joué, Jean-Marc Kuentz (l’adjoint de Julien Stéphan) que j’ai connu au centre de formation, et Guy Feigenbrugel (le team manager) dont je suis proche depuis l’enfance. »
Pour le plus Alsacien des Ajacciens, et vice et versa, ce match sera « forcément un moment particulier ». Reste à savoir quelle partie de sa géographie personnelle sera comblée.
dna